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Mes écrits

Chers amis, vous retrouverez ici mes textes : nouvelles courtes (et un peu plus longues), des extraits de mon travail, mais aussi des pensées personnelles.

Bonne lecture...

Retrouvez en bas de page les textes plus anciens.


LE BUS DES RÊVES

Huey Kuang dormait… Mais d’un sommeil agité. Il n’était certainement pas plongé dans des rêves suaves, doux et remplis d’arc-en-ciel au milieu de licornes magiques. Il s’agissait sans aucun doute d’un cauchemar. Terrible, angoissant… flippant. De la sueur perlait sur son front, ses mains tremblaient et sa bouche, entrouverte, laissait échapper des brides de sons caverneux, gutturaux…

Huey Kuang était au fond d’un bus. Sur le siège du milieu, celui où l’on voit toute l’allée centrale. Ce n’était pas un bus de ligne, mais plutôt un vieux véhicule façon années 80. Sièges tape-cul, plancher usé, pas de clim, dossiers déchirés et un panneau orange qui indiquait qu’il y avait des enfants à l’intérieur.

Putain ! Des enfants ? mon cul !

Il n’était pas tranquille. Oh non ! Tout d’abord, le bus filait à grande vitesse. Huey Kuang n’arrivait pas à apercevoir la route. Y en avait-il ? Il en doutait. Les vitres étaient poisseuses et ne laissaient passer que très peu de lumière. Une chose était sûre, il n’était pas seul… Des personnes s’approchaient de lui lentement pour tenter de lui faire " des misères ". Ce n’est que quand elles furent près de lui qu’il s’aperçut que ces assaillants n’avaient plus de peau sur eux. La chair à vif, avec quelques filets de sang qui coulait derrière eux. Ils tendaient leurs mains pour l’attraper. Huey Kuang reculait dans son siège, apeuré. Il n’avait aucune échappatoire. Il savait que crier n’aurait servi à rien. Quelqu’un aurait pu l’aider ? Non. Aucune chance. L’environnement était hostile. Quelques têtes lui étaient familières, peut-être bien des connaissances lointaines. Tout était flou.

Il entendait le chauffeur – en fait, c’était peut-être bien UNE chauffeuse, au son de sa voix – chantait à tue-tête une chanson d’horreur.

Un-deux-trois, on t’attrapera

Quatre-cinq-six, à coup d’tournevis…

Elle riait en même temps sur un ton démoniaque, en tournant le volant à droite, et à gauche. Comme si elle slalomer entre des quilles qu’il ne pouvait voir.

Il était fichu.

Quel rêve de merde, quand même ! Il allait s’en souvenir de celui-là !


Axel avait mis sa couette au pied du lit à force d’y donner des coups de pied. Heureusement que ce soir-là, il dormait seul (sa femme était chez sa sœur qui était malade). Il s’agitait sur le matelas comme s’il se débattait contre les ténèbres. Peut-être le faisait-il réellement.

Il était sous un siège. Le parterre était dans un état dégueulasse. Mais il n’avait pas le choix. C’était ça… ou une mort assurée. Il voyait les pieds passer dans l’allée principale du bus. Des pieds nus. Tellement nus qu’Axel en voyait des bouts d’os ! Des morceaux de chair jonchaient le sol, sur une trainée d’hémoglobine sombre et visqueuse.

Des cris se faisaient entendre au fond du bus. Il ne pouvait pas voir mais se doutait que le malheureux passait un sale quart d’heure.

Alors que les prédateurs circulaient à sa recherche, il avait de plus en plus de mal à se concentrer sur sa respiration. Il sentait son pouls s’accélérer et se savait à deux doigts du malaise. Il devait tenter quelque chose. Il ne pouvait pas rester comme ça. Rester sans rien faire n’était pas dans son tempérament.

Il vit que la vitre au-dessus de lui était une issue de secours. Il guetta alors les alentours et jugea bon de tenter une sortie. Il se leva, tout en se cognant contre un accoudoir, et fit un tour d’horizon rapide. Il ne fallut pas bien longtemps pour que les créatures, agglutinées au fond du bus en train de se restaurer, sentent son odeur et se retournent. Gueules ouvertes, dents bien pointues, du sang et de la chair qui dégoulinaient du menton, elles se précipitèrent sur lui.

Axel, dans un geste maladroit, essaya d’ouvrir l’issue de secours. Mais elle était bloquée. Obligé !

Et on lui pèlera le jonc comme au bailli du Limousin ! Qu’on a fendu un beau matin. Qu’on a pendu ! Avec ses tripes !

Ahahaha !

Axel se retourna et entraperçut le chauffeur du bus. C’était une femme, apparemment. Enfin… Ce qu’il en restait. Ou alors c’était son imagination qui lui jouait des tours. Quoi de plus normal dans un rêve ! Un cauchemar, plutôt !

Et il eut juste le temps de s’apercevoir qu’il y avait encore une autre passagère dans le bus qui semblait être encore du bon côté de la force… Humaine, quoi… Peut-être…



Stéphanie était en boule, au sol, sur sa moquette. La position fœtale était un réflexe de protection pour tout être humain. Surtout lorsque nos nuits sont là pour nous rappeler que nos vies – et la réalité – ne tiennent qu’à un fil. Elle avait froid, mais tremblotait de terreur…

Elle n’avait plus aucun espoir. Même si elle avait évité le pire jusqu’ici. Elle avait eu l’idée – idée qui provenait des films d’horreur qu’elle visionnait régulièrement – de faire la morte. Sûrement la meilleure solution. Heureusement pour elle également que l’individu dans le fond du bus s’était mis à crier. Cela avait attiré cette horde de monstres sanguinaires. Et il y avait eu cet homme aussi, en train d’ouvrir – sans réussite – l’issue de secours. Des pauvres malheureux, dévorés vifs !

Elle avait le regard qui perçait la saleté de la vitre. Au moins, elle s’évadait mentalement. En attendant que ce soit son tour. Dans pas longtemps, pensait-elle.

Il y a toujours cette chauffeuse qui chantait des airs morbides tout en conduisant ce bus de l’horreur.

Driller Killer a très très faim !

Elle va vous engloutir bientôt !

Pourrait pas attendre demain

Pour rogner vos derniers os !

Folle à lier, pensait Stéphanie…

Elle vit des panneaux sur le bord de la route. Direction Woodsboro, Haddonfield. Où allaient-ils ? Pfff… Elle ne voulait pas savoir. Elle s’en foutait. C’était terminé, de toute façon. Les deux passagers qui avaient été avec elle dans ce bus n’étaient plus. Et ce serait son tour très bientôt. Comme l’avait chanté cette Driller machin.

Folle à lier…

Le bus vira à 90 degrés. Stéphanie s’accrocha et vit un nouveau panneau : Elm Street… Ce nom lui disait quelque chose.

Elle entendait les soupirs, les bruits de pas, les grognements, s’approcher d’elle. Elle commençait à pleurer.

Le bus pila. La chauffeuse se leva, les bras en l’air en signe de victoire. « On est arrivé mes amis moisis ! »

La horde sauvage reprit en chœur l’engouement de leur meneuse. Mais ils aperçurent au même moment Stéphanie dans son coin. Son heure arrivait. Juste le temps de voir une pancarte à l’extérieur souhaitant la « bienvenue au camping de Crystal Lake ». Ça ne pouvait être qu’un cauchemar. C’était impossible autrement…


Adeline était là, debout, et tenait par la main ses amis Huey Kuang, Axel et Stéphanie. « On se met au travail, les copains ? »

Ils hochèrent la tête sans faire de bruit. La terre était meuble, l’air frais. Il avait plu quelques heures auparavant, ce qui faciliterait fortement leur travail. Ils prirent chacun une pelle, et commencèrent à recouvrir les quatre corps dans leurs trous.

« Une pelletée. Deux pelletées…

On va tous être enterrés.

Trois pelletées. Quatre pelletées…

Ici pour l’éternité. »


FIN


Votre serviteur: N22

Texte 6, le 12/10/2021



JE DOUBLE OU PAS ?

Thomas sortait du boulot à midi pile. Pas une minute de plus à donner à ses employeurs. Ce n’était pas leurs habitudes à faire du social. Il avait donc appris à gratter le plus possible. On ne se gênait pas pour lui enlever des quarts d’heure dès la première minute de retard…

En plus, aujourd’hui, il était doublement pressé : il avait un rencard en début d’après-midi. Le genre de rendez-vous qu’on attend toute une vie. Enfin, deux mois, en ce qui le concernait. Il avait repéré une petite métisse sur un site de rencontre et avait bataillé dur pour que les algorithmes fassent le travail. Quel romantisme ! Si la photo et la voix – il avait eu la chance de l’avoir au téléphone la veille au soir – étaient à la hauteur de la réalité, il avait touché le jackpot ! Le physique comptait pour cinquante pour cent (OK, soixante-quinze) et il avait hâte de la voir en vrai.

Il avait sauté dans son break qu’il avait bichonné il y a peu, et comme il s’était garé près de l’entrée (et donc de la sortie), il fut le premier à passer le portique de sécurité de son usine. On the road sur la Départementale 302. Tout sourire !

Il avait tout planifié. Arrivée : une bricole à manger qu’il avait préparée en avance. Ensuite : une bonne douche. Il s’était rasé il y a deux jours, ce qui avait laissé le temps à sa barbe de donner ce petit effet masculin qu’elle – Laeticia, elle s’appelait Laeticia – aimait particulièrement si l’on en croyait ses caractéristiques de recherche sur le site. Les habits qu’il avait choisis étaient posés sur une chaise, impeccables. L’appart presque rangé, mais propre. Surtout propre (il se souvenait que son père lui disait il n’y a pas si longtemps que le plus important pour une femme, lorsqu’elle rend visite à un homme, était que la chambre et la salle de bains soient nickel) ! Tout semblait parfait. Sans trop, pour ne pas paraître maniaque.

Enfin… parfait… excepté ce petit bahut tout minable et bien crade qui se présentait à lui, sur sa voie de circulation, et qui avançait à la vitesse d’une limace. Thomas se planta sur son frein et se retrouva le pare-chocs avant quasi collé à celui arrière du fourgon devant lui. C’était quoi ce taudis ? Une estafette ? Un utilitaire ? OK, mais de quelle année ?

Comment est-ce qu’une merde pareille peut avoir le droit de rouler ?

L’engin semblait dater des années 80. Un vieux véhicule tout brinquebalant, du genre fourre-tout. Peut-être y avait-il eu la clim, à une certaine époque, pour y transporter des produits frais ? Les ferrailles étaient rouillées, et la porte arrière terreuse. Non ! Boueuse. Mais d’où sortait cet engin ? D’ailleurs, quelqu’un, avec son doigt, avait écrit « SALE » dans la poussière. C’était le moins que l’on pouvait dire…

On y voyait, malgré tout, la tête d’un cochon gribouillé dans des traits d’enfant. Un peu comme celui du dessin animé. Une inscription partiellement obstruée par la crasse, ou tout simplement effacée, laissait apparaître quelques lettres, des brides de mots. « COCHON », pour sûr. Mais cochon quoi ? Un morceau d’adresse, peut-être un téléphone, et puis rien d’autre. Ça, c’était évident : ce camion ressemblait bien à une porcherie ! En plus, il roulait à 50 à l’heure ! En ligne droite !

PUTAIN ! C’est bien ma veine !

Thomas regarda son horloge sur son tableau de bord. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, il avait une bonne marge de manœuvre. Mais quand même. Ce genre de débile profond qui ne sait pas conduire le foutait en rogne. Il tourna machinalement la chevalière en or qu’il portait à son index droit. Cela l’apaisait quand il sentait que la mayonnaise commençait à prendre le chaud. « Kiss me » était écrit dessus. Un double sens, sans aucun doute.

Alors, il décala légèrement son break sur la gauche pour avoir une meilleure visibilité. Il connaissait la route comme sa poche et savait où il pouvait doubler. Mais, à sa plus grande surprise, le fourgon devant lui se décala lui aussi.

Mais c’est pas possible ?

Thomas se remit sur sa voie, tapotant le volant de la paume de sa main. La camionnette reprit sa ligne également.

C’était pas fait exprès… Il a juste dévié sans faire attention…

Alors Thomas se décala à nouveau.

ET MERDE ! ET MERDE !

Thomas n’en revenait pas. Le gars – c’était un gars, obligé – avait refait pareil ! C’était pour le faire chier ! Rien d’autre ! Il en était sûr ! Mais cette fois-ci, le fourgon resta à un tiers sur la voie de gauche, à cheval sur la ligne pointillée du milieu.

Putain ! Je suis tombé sur LE connard !

Thomas se mit à réfléchir. Et serra son volant des deux mains. Il alluma la musique, et choisit la piste 3 : MetallicA – Death Magnetic. C’était bon, ça. Exactement ce qu’il lui fallait. Et il fit tourner de nouveau sa chevalière.

Il est vrai qu'en général, on n’aime pas trop quand quelqu’un de pressé nous colle au cul. C’était peut-être le sentiment du chauffeur du fourgon. C’était arrivé à Thomas une fois : un petit con avec sa Mercedes s'était présenté en trombe pour se positionner juste derrière lui. Thomas avait fait exprès de ralentir. Sauf que, avec la puissance du bolide, le coupé sport l’avait doublé aussi facilement qu’une F1 passant à côté d’un vélo.

Alors Thomas lâcha prise un instant, et reprit ses distances avec le fourgon. De plus, une série de virages arrivait, avec une visibilité nulle, et aucun dépassement n’était possible à cet endroit.

Le plan semblait marcher, le chauffeur s'était remis sur sa voie de droite réglementaire. Sauf qu’il était descendu à 30 km/h pour assurer les tournants.

Mais il transporte quoi, là-dedans ? De la TNT ?

Thomas regarda son horloge. Bon, il avait perdu quelques minutes. Normalement, il faisait le trajet en un quart d’heure. Il n’y avait pas de quoi s’affoler, mais la situation lui mettait les nerfs à rude épreuve.

Le village passé, il savait qu’une nouvelle ligne droite allait s’offrir à lui. Mais il ne voulait pas trop lui coller au cul. En plus, avec le recul, Thomas voyait qu’il avait un boulevard devant lui, avec aucune âme motorisée en face de lui. Il prit donc son élan, rétrograda pour plus de puissance, et accéléra. Le moteur hurla légèrement mais il avait une bonne impulsion. Il se déporta sur la voie de gauche, tout était parfait.

PUTAIN MAIS J’HALLUCINE !!!

Thomas planta son poing au centre de son volant pour faire exploser son klaxon et appuya son pied droit sur la pédale de freins. Le fourgon s’était presque remis au milieu de la route !

CONNARD ! CONNARD !!!

Il laissa éclater sa colère pour contenir la peur qui l’avait envahi. Il aurait pu lui rentrer dedans si Thomas n’avait pas eu le bon réflexe. C’était incroyable de réagir de la sorte. Pourquoi est-ce que le chauffeur de la camionnette jouait à ce jeu dangereux ?

C’est quoi ton problème ? MON pote !

Et tout le long de ligne droite, le vieux débris à quatre roues aussi minces que des galettes resta en plein milieu de la route.

James Hetfield faisait gémir sa guitare alors que Lars Ulrich torturait sa grosse caisse. Et Thomas se demandait quoi faire. S’il s'éternisait derrière ce gros cul tout plein de poussière, il n’aurait certainement plus le temps de manger. Il ne pouvait pas zapper la douche, c’était primordial après une journée de travail. Mais merde, quoi ? S’il ne bouffait pas, avec en plus la colère montante à cause de ce fils de… il l’aurait en travers de la gorge toute l’après-midi et sa bonne humeur légendaire ne serait pas au rendez-vous.

Et le fourgon continua ainsi…

Thomas se rongeait les ongles. Un par un. Rouler à 50 sur une départementale, en ligne droite, avec pour simple pélo un psychopathe conduisant un mini camion de cochon sorti d’un Tex Avery et lui-même, avec son moteur rugissant, en sur régime au cas où une occasion se présentait de dépasser. Et sa chevalière tournait et tournait autour de son index trop gros…

Il savait qu’il ne lui restait plus que quelques centaines de mètres de ligne droite avant d’attaquer les contours sinueux du bord du lac. Là-bas, la mission serait quasi impossible de doubler. Et c’est par magie que le fourgon se replaça sur sa voie, à droite, bien sagement.

Thomas n’en crut pas ses yeux et, sans réfléchir – ni même mettre le clignotant – tourna son volant d’un coup sec pour engager la manœuvre. Aussitôt fait, il rebraqua de l’autre côté, et manqua de se retrouver dans le fossé. Le coup de klaxon du véhicule, une Clio quelconque qui lui était passée à côté lui, bourdonnait encore dans les oreilles. Il avait évité la collision frontale d’un cheveu, mais son break avait dessiné un merveilleux zigzag sur le macadam ! L’odeur du moteur chaud, mélangé à celle des pneus cramés lui donna la nausée. Ou alors était-ce la peur d’avoir raté son rendez-vous avec Madame la Faucheuse ?

Mais le plus dingue était que Thomas voyait le visage du chauffeur à l’aide du rétroviseur du vieux tacot, et celui-ci rigolait ! Il n’en croyait pas ses yeux ! Il s’esclaffait tellement qu’il en tapait le volant !

Mais c’est un abruti complet, ma parole !

Thomas croisa alors le regard de l’homme. Son sang se glaça en un tour. Et essaya de se persuader que ce qu’il venait de voir était une déformation de son cerveau sous l’effet de l’adrénaline ou d’une autre connerie dans le genre. Une réaction chimique classique qui vous procure des hallucinations, associant deux images dans votre subconscient et qui formaient un mélange détonnant. Un peu ce qui se passe avec les rêves d’ailleurs.

Le break ralenti instinctivement. Comme s’il acceptait la défaite. De plus, les deux conducteurs arrivaient au lac du Ternay. Et Thomas savait ce que cela voulait dire.

Il se refusait maintenant de regarder son horloge. Cela changerait quoi, de toute façon ? Il se rendit compte également qu’il n’était même pas à la moitié du trajet et qu’il avait déjà perdu dix minutes.

Putain ! Dix minutes de perdues sur un trajet de dix-sept top chrono !

Mais la route du lac était vraiment dangereuse si on y jouait aux cons. Sur la droite, de grands séquoias plantés à intervalle réguliers, et à gauche, un léger précipice qui vous plongeait dans les eaux noires et glacées. Une simple rambarde construite en bois de palettes était censée vous protéger de la chute.

Les virages étaient nombreux, et la vitesse très minime… Par beau temps, avec des arbres élagués, et un peu de chance, on pouvait accessoirement avoir une bonne visibilité sur la route et sur les véhicules qui arrivaient en face. Certains avaient joué à ce jeu, quelques-uns avaient perdu…

Thomas écoutait à peine la musique. Il s’en rendit compte et l’arrêta. Il posa sa tête dans le creux de sa main gauche, le coude contre la vitre. Il avait abandonné. La pression retombait un peu, mais la colère était toujours là. Avec le fourgon en face de lui. La gueule du cochon, à moitié effacée, semblait lui sourire. Le narguer. Et Thomas continua comme cela tout le long du lac.

Tant pis, il arriverait quand il arriverait.

Mais, à peine le dernier virage du Ternay passé, Thomas eut un éclair. Il avait vu que la route en face de lui était dégagée, et espérait que le chauffeur de la camionnette s’était « endormi » sur cette affaire.

Alors, il rétrograda une nouvelle fois. Appuya à fond sur l’accélérateur et se mit sur la voie de gauche. Le bruit d’un moteur d’Airbus A320 s’échappait de sous le capot du break. L’aiguille des compte-tours était dans le rouge. Le visage de Thomas sûrement aussi.

Il était côte à côte avec le fourgon. Il avait vu juste, il avait pris le chauffeur par surprise. Mais le bougre s’en aperçut. Un petit regard dans le rétro et il donna un coup de volant sur la gauche pour bloquer le passage à Thomas. Ce dernier ne se laissa pas compter une nouvelle fois. Il relança son véhicule, au bord de l’explosion, et serra à gauche le plus possible.

Putain, un bus arrivait droit devant ! Et les pneus de sa voiture commençaient à manger les gravillons sur le bas-côté. Il devait garder sa ligne. Et dépasser l’autre abruti. Les deux bolides étaient presque sur le point de se toucher ! Puis, le devant du break passa devant celui du fourgon. La légère montée fit ralentir ce dernier et Thomas put le doubler complètement.

Heureusement pour lui, le bus arriva à leurs hauteurs juste à ce moment dans un concert d’appels de phares et de coups de klaxon.

Thomas était en nage ! Ses mains tremblaient ! Il eut un rire explosif et nerveux. Il l’avait fait ! C’était bon ! Il voyait l’autre dans son rétro, au volant de son taudis roulant par la seule force du Saint-Esprit.

Mais il ne voulait pas en rester là. L’heure en était aux explications. Alors Thomas ralentit brusquement et s’arrêta au milieu de la route. Il bloqua le fourgon et sortit de son break. Prêt à tomber sur un molosse enragé, il n’en avait malgré tout pas peur.

Le chauffeur sortit également de son véhicule et Thomas fut paralysé. Son hallucination de tout à l’heure n’en était pas une. Le gars en face de lui avait vraiment le visage déformé. Le nez relevé, les oreilles légèrement en pointe, les canines qui dépassaient, il ressemblait plus à un cochon qu’un homme. Thomas était pétrifié. L’homme-cochon, lui, rigolait à gorge déployée…


Le lendemain matin, sur la place du village, Ginette était là. Avec son petit panier en osier sous le bras, elle tenait absolument à être la première les jours de marché, afin d’avoir les premiers choix. Pas question qu’elle passe après les autres et se contente des restes. Certainement pas ! Elle arrivait même parfois avant les commerçants. Et elle fut tout heureuse de retrouver Marc dans un coin.

Il nettoyait son vieux fourgon avec un jet d’eau et une éponge. Il n’avait pas encore déballé son stand mais elle se précipita sur lui.

« Marc ? Je suis bien contente de vous voir ce matin.

— Bonjour, Ginette, cela faisait un bout de temps, en effet, lui répondit l’homme.

— Est-ce que vous avez quelque chose pour moi, aujourd’hui ? Genre, de la bonne qualité ?

— Oh oui ! Bien sûr ! C’est votre jour de chance. Justement, hier, j’ai eu un arrivage du meilleur cochon qui existe sur Terre », lui assura-t-elle, tout en tournant une chevalière en or autour de son index droit.



FIN


Votre serviteur : N22

Texte 5, le 02/10/2021



"Un Conte de Noël"

2019


Cette nouvelle a été écrite juste avant Noël 2019, et elle a été imaginée en pensant à mon fils, Nolann, alors âgé de trois ans et demi. Certains faits sont réels, notamment cette très belle phrase qu'il nous disait souvent, à sa mère et à moi: "Je vous aime comme les étoiles".

Nous l'aimons comme les galaxies.


"Un Conte de Noël"



J’ai failli faire la bêtise du siècle la nuit dernière. En même temps, je ne me souvenais plus quelle nuit on était. Et je l’ai échappé belle. Nous l’avons tous échappé belle.

Comme d’habitude, je me suis levé vers les "une heure du matin", avec une envie de pisser incroyable. À boire toutes ces tisanes pour m’aider à trouver le sommeil, j’ai la vessie qui se remplit aussi vite que se vide mon compte en banque. En essayant de ne pas réveiller ma tendre épouse qui dormait à poings fermés, étalée sur les trois quarts du matelas et ayant réquisitionné la couverture chauffante, je me suis avancé sur la pointe des pieds pour sortir de la chambre. Par chance, nous laissons la porte entrebâillée, et un rayon de clair de lune était suffisant pour me diriger. La maison n’est pas un terrain miné ou un parcours d’obstacle, mais les meubles ont la fâcheuse habitude de se déplacer tout seuls en plein milieu de la nuit, prêts à attraper un petit orteil qui dépasserait de-ci de-là.

Après avoir vidé ma vessie sans en mettre une goutte de côté - pensais-je - je m’aventurai discrètement vers la cuisine pour me laver les mains et boire un verre d’eau bien fraîche. Je passai devant la porte de la chambre de notre fils et jetai un coup d’œil rapide à l’intérieur. Sous un amoncellement de peluches, doudous à plume, à poil et toute autre étrangeté infantile, j’aperçus le visage d’ange du petit bonhomme entre deux couvertures, paisiblement installé dans une nuit aux mille rêves. La lune, de son tain fantomatique, m’intrigua par sa beauté et je me dirigeai vers la baie vitrée du salon. Je passai devant la cheminée que nous n’allumions plus depuis que ma femme avait lu un article sur la pollution due à ce type de chauffage. Je n’éprouvais aucun romantisme à regarder un radiateur électrique avec un mug de chocolat chaud, mais tant pis.

Mais, j’entendis un bruit derrière moi, provenant des profondeurs de la maison. Comme si les fondations et les murs se mettaient à trembler dans un râle guttural que je pourrais facilement associer aux borborygmes de mon ventre. Néanmoins, je compris assez vite que la situation pouvait être bien plus compliquée qu’elle ne le paraissait.

Tous les sens en alerte, le pantalon de pyjama tombant légèrement sur mes fesses de quadragénaire, les yeux pas tout à fait décollés, je guettais le moindre bruit suspect. C’est alors que le spectre du visiteur nocturne pointa le bout de son nez quand j’entendis un nouveau grognement. Bref mais répété. Se rapprochant. Un nuage voila la lune et la pièce s’assombrit. Un chat miaula à la mort et une plaque de chair de poule se souleva sur mon dos. Les poils de mon corps se raidirent d’un coup. Mon cœur battait aussi fort que la foutue tondeuse du voisin le dimanche matin sous mes fenêtres. J’attrapai un tisonnier et me retournai d’un geste brusque. Et tel D’Artagnan, je plongeai mon bras droit en avant, arme en première ligne et perçai le flanc de l’intrus qui était devant moi ! En plein dans le mille ! L’individu hurla et je le rejoignis ! Nous avions l’air de deux pucelles devant leur idole à peine plus prépubère qu’elles.

L’homme chuta, se tenant les côtes du côté gauche, sous son cœur. Je lâchai le tisonnier qui tomba dans un son mat sur le tapis. Ma mâchoire se décrocha, mes yeux s’exorbitèrent : je ressemblais trait pour trait au loup de Tex Avery ! Mais pourquoi je ne m’étais pas souvenu que nous étions la nuit du 25 décembre ? Je venais d’enfourcher le père Noël !

Il gisait, là, devant ma cheminée, couché sur le dos, dans sa tenue rouge et blanche. Rouge ! Du sang ! Oh mon Dieu ! Que venais-je de faire ? Mais comme par magie, le père Noël ouvrit un œil rond au moment où la lune éclaira de nouveau le salon.

« Oh oh oh ! Mais c’en est une façon de recevoir les gens !

— Mais je…

— Mais je quoi ? répondit-il en se relevant tant bien que mal.

— Vous êtes blessé ? » Je lui tendis une main pour l’aider à se relever. Il la saisit et se remit sur pied.

C’est alors que, en dessous de sa tenue, le père Noël sortit deux gros coussins dodus tenus par une ceinture à sa taille. L’un d’eux était percé et une brassée de plumes tenta de s’échapper. Le père Noël se tenait devint moi, fin et svelte comme un marathonien.

« Mais… Les coussins, hésitai-je, c’est…

— Oh oh oh, mon ami. Je sais, je sais. La mère Noël me met à la diète, vous savez. Avec tous ces trucs qu’on voit à la télé : repas végétarien, moins de viande rouge, mangez moins gras, moins sucré, moins salé. Faire du sport, cinq fruits et légumes par jour. Voilà le résultat ! Aussi fin qu’un steak haché de chez McDo. Alors les coussins, c’est pour mes contrats publicitaires, le droit à l’image et tout ça. »

J’en restai coi. Le père Noël qui me parlait comme me parlaient mes collègues de boulot. À se plaindre de la société de consommation et de leur bonne femme (attention propos sexiste : note de l’auteur), se trouvant des excuses de ne plus rien contrôler et de devoir suivre le système sans avoir d’autre choix.

« Heureusement que je les avais - mes coussins - sans quoi vous m’auriez harponné comme un cochon à la broche !

— Mais vous saignez ! lui dis-je en lui montrant la tache rouge qui recouvrait une partie de sa veste.

— Oh noooon ! Mon jus d’airelles ! Il ne manquait plus que ça ! »

Le père Noël se posa sur son séant, l’air triste. Je n’en revenais pas moi-même. La situation était des plus étranges et je ne savais pas trop quoi dire. Lui qui était le symbole des rires des enfants, de la joie dans les maisons, des cadeaux que l’on ouvrait par milliers le 25 au matin. Il avait l’air perdu, épuisé.

« Puis-je faire quelque chose, père Noël ?

— Oh oh oh. Vous savez, je suis las. Aujourd’hui je me fais tisonner, demain des enfants auront peur de moi, me tireront la barbe en pensant que je suis un imposteur de supermarché.

— Mais non, Noël c’est…

— Noël ne vaut plus rien, vous savez. Déjà on m’a volé mon job avec leur Black Friday. Les enfants commandaient autrefois des jouets en bois que mes lutins menuisiers fabriquaient dans mes ateliers. Ça sentait bon le chêne, le sapin, l’odeur des peintures fraîches pour décorer pantins, petits trains ou chevaux à bascule ! Aujourd’hui, les gens veulent des téléphones, des tablettes, des jeux vidéos ! En parlant de mes lutins, j’ai eu des associations sur le dos pour maltraitance d’enfants, heures illégales travaillées, logements insalubres (pas moins de neuf mètres carrés par lutins) ! Et moi je me tue à la tâche ! Des heures et des tonnes de jouets par personne ! Vous en avez jamais assez de tout ça ? Pour après les jeter dès qu’il y a un souci avec ? Non, j’en peux plus. »

Les bras m’en tombaient. Je ne savais pas quoi répondre. Il est vrai que les souvenirs d’enfance, les histoires racontées par mes parents me racontant leur Noël, le fait qu’ils se contentaient de si peu et étaient si contents, cette féérie entourant la préparation, étaient si loin. On était tombé dans un monde d’obligation et de consommation surabondante, dans lequel le bruit des caisses enregistreuses n’était plus que l’objectif numéro un. Je me sentais fautif également, complice. Double peine : j’avais failli tuer le père Noël.

« Venez avec moi s’il vous plait », proposai-je à l’ancien.

Je lui indiquai la chambre de mon enfant, et ouvris légèrement la porte. À peine pour faire entrer un halo de lumière au-dessus de sa tête.

« Il ne jure que par vous depuis près de deux mois, informai-je le père Noël. Il a dessiné tous ces dessins lui-même. Tous ceux accrochés aux murs. Il collectionne les figurines qu’il trouve — que nous trouvons — dans les magasins et brocantes, et suit vos activités sur internet. Oui, je sais, ce n’est pas très traditionnel mais bon. Il a décidé de lui-même d’envoyer toutes ses tétines aux enfants qui n’en avaient pas les moyens. Et, malgré le fait qu’il ait commandé une tonne de cadeaux, à la fin de sa lettre, il a voulu que j’écrive comme dernier souhait ‘’une étoile magique’’. Une étoile comme il en existe des milliards dans l’univers. Une étoile que pourraient se partager tous les enfants du monde pour qu’ils puissent être aussi heureux que lui. Il nous dit souvent, à mon épouse et moi, qu’il nous aime comme les étoiles. Ce sont ses mots, père Noël, et il n’a que trois ans et demi. »

Le vieil homme le regardait au travers de ses lunettes, l’air sérieux. « Je comprends. Et vous, que pensez-vous ?

— Je ne pensais plus que le père Noël existait encore.

— Vous n’aviez jamais été enfant, mon ami ?

— Bien sûr que si, répondis-je en souriant. Mais j’avais oublié ce que cela représentait jusqu’à ce que je puisse avoir ma propre famille et mon enfant. Noël, c’est ce qu’il y a dans ses yeux et dans son cœur. Et je suis sûr que tous les enfants du monde, même si beaucoup d’entre eux commandent la dernière console de jeux ou le téléphone qui coûte un SMIC, vous ont dans leur cœur et n’attendent qu’une chose : d’être tous heureux au moins une fois dans l’année. Grâce à vous… »

Je voyais l’homme en face de moi, un costume deux fois trop grand, du jus d’airelles qui coulait sur sa veste, l’air fatigué par les heures de vol, prendre un air réfléchi et sérieux.

« J’ai tellement pris de retard ce soir, répondit-il tout bas. Et vous savez quoi ? Il y a même des gens qui demandent les cadeaux pour le 24 au soir ?

— Je peux vous aider si vous le voulez ? C’est moi qui vous ai retardé.

— Sérieux ? Vous avez quoi comme bagnole ? demanda-t-il.

— Un vieux break… répondis-je, intrigué.

— Parfait ! Sortons sans un bruit !

— Par la cheminée ?

— Et les portes, ça sert à quoi, mon ami ? »

Nous nous retrouvâmes tous les deux dans la nuit de clair de lune. Un brouillard commençait à recouvrir le gazon et les quelques bruyères qui ornaient les jardins du lotissement. Je tournai la tête dans tous les sens, et aperçus le fameux traineau au-dessus de moi.

« Et où sont vos rênes ?

— Mes rênes ? Une association de défense des animaux m’est tombée dessus il y a quelques mois. D’après eux, j’exploitais ces pauvres bêtes et j’ai dû interrompre leur travail il y a deux heures : quota syndical oblige, répondit-il dans un haussement d’épaules.

— Comment va-t-on faire alors, demandai-je ?

— Aucun souci mon ami. Vous croyez en la magie de Noël ? Nous allons nous partager le travail. Voilà votre break ?

— Oui. »

Et d’un mouvement du bras, comme ceux d’un chef d’orchestre, mon vieux break de 2001 se transforma, et des dizaines de wagons s’accrochèrent derrière. Dans un éclair de lumière, des milliers d’étoiles scintillantes continuèrent le travail. Mon convoi venait de s’élever du sol, à un bon mètre au-dessus de l’asphalte. Je n’en croyais pas mes yeux.

Le père Noël riait à pleins poumons : « En voiture, mon ami, des enfants nous attendent ! »

Je montai aux côtés de cet étrange bonhomme et le convoi s’envola dans les airs. Les cadeaux tombaient par milliers derrière moi pour se déposer comme par miracle dans les salons de toutes les maisons de la ville. C’était magique, il n’y avait rien d’autre à dire.

Au bout d’une heure ou deux, difficile de se rendre compte, le père Noël me dit qu’il avait rattrapé son retard et que je lui avais donné assez de force pour terminer sa tournée sans encombre. Il me déposa devant chez moi, il me fit un signe de la main et je suivis son traineau partir au-delà de la ligne d’horizon. Les premiers flocons de neige commençaient à tomber sur mes épaules. Je rentrai vite, me rendant compte que j’étais en chaussons.

Je pénétrai doucement dans la chambre conjugale et me glissai sous l’épaisse couverture. Mon épouse se retourna et dans un demi-sommeil me demanda : « T’étais parti où ?

— Aux toilettes ».

Elle me serra contre elle. Éreinté, je sombrai dans mes rêves.


Le lendemain matin, notre petit bonhomme fut le premier réveillé.

« Le père Noël ! Le père Noël ! Il est passé !!! »

Troublé par le rêve étrange de la nuit, je sortis jusqu’au salon pour rejoindre le petit excité. Des paquets cadeaux se trouvaient tout autour du sapin. Mon épouse nous rejoignit pour partager ce moment. Le bonheur était là, le petit était aux anges. Je repensais à ce rêve. À cette rencontre avec le père Noël. Je trouvais ça marrant qu’à mon âge, je puisse rêver de lui. Cette pensée me fit sourire. Puis mon fils hurla de bonheur :

« Papa ! Maman ! Oh ! c’est chouette ça ! Comme j’avais demandé au père Noël ! »

Il tenait dans ses mains une étoile en bois qui, une fois qu’il l’approchait de son cœur, se mettait à briller. Il avait l’air en paix.


Plus tard dans la journée, une info à la télévision se partageait comme une trainée de poudre… Elle disait que, par un phénomène étrange, des milliers, des milliards d’enfants avaient reçu cette même étoile…


FIN


Votre serviteur: N22

texte 4, le 07/07/2021


"UNE PLUME"

Nouvelle

Auguste était dans son jardin. Une magnifique journée de printemps. Pas trop chaud, mais suffisamment pour avoir envie d’en profiter. Les longs mois d’hiver avaient été pénibles, et à la moindre éclaircie, le jeune homme sortait pour peaufiner son petit espace vert. Quelques mètres carrés étaient bien assez, tant le travail s’allongeait. Et Alphonsine n’était pas avare en conseils, ou plutôt en exigences. Quelques fleurs par ci, un arbuste par là, un parasol de glycine à droite, une haie de rosiers à gauche.

Mais depuis quelque temps, son caprice s’était tourné vers la plantation d’un cerisier. Auguste avait bien tenté de repousser l’échéance de cette tâche, mais sa belle le tannait de jour en jour. Il aimait lui faire plaisir, mais quand un souhait se transformait en ordre, cela le dérangeait. Et ce jour-là, aucune excuse possible, Auguste était bon pour s’y coller. Alors, OK, l’arbre qu’il devait planter ne dépassait pas les deux mètres. Pas encore. Et le tronc était aussi épais que le bâton d’un coton-tige. Mais vous connaissez maintenant Madame. Il fallait qu’il soit planté à tel endroit. Pas un mètre à côté, mais bien là ! Précisément. Pour qu’il puisse donner assez d’ombre en été, qu’elle puisse profiter de la senteur fleurie de son parfum en ouvrant la fenêtre du premier étage, mais pas trop près non plus, pour que les abeilles ne les embêtent pas, et que les fruits trop mûrs ne fassent pas de taches sur le carrelage de la terrasse.

L’emplacement dans le jardin était marqué au laser.

Auguste aimait son Alphonsine comme il ne l’avait jamais aimée. Même aux premiers jours. Même lors de la naissance de leur premier et unique enfant, leur petite fille Marie, qui était un vrai ange. Normal, quand on a une mère comme celle-là. Alors Auguste aurait tout fait pour elle. Et c’est avec appréhension qu’il était allé chercher sa bêche dans le garage. Il s’était dit qu’il n’en aurait pas pour trop longtemps, en fait. Ce qui le dérangeait plus, c’est qu’Alphonsine allait encore gagner, et qu’il n’avait pas fini d’en entendre parler. Mais peu importe, il la verrait heureuse, et c’était bien cela le plus important.

Le soleil montait vers son zénith, et la chaleur n’irait qu’en accentuant sa pression. Il avait déjà le t-shirt trempé et ses cheveux lui collaient sur le front. Il leva son manche en bois, et commença à taper la terre. Sèche. Poussiéreuse. Il en prenait plein la figure. Une horreur. Mais il continua. La notice disait qu’il fallait faire un trou de trente centimètres de profondeur. Rien que ça ! Et pourquoi pas jusqu’en Chine, aussi ?

Il se dit qu’il valait mieux ne pas réfléchir, et tapa avec son outil. Encore et encore ! Mais un bruit étrange l’arrêta. Comme par magie, ce son fit venir Alphonsine à la fenêtre.

« Tout va bien, mon Auguste ? »

Il leva la tête mais sa vue fut brouillée. De la sueur lui coulait dans les yeux. Mélangée à la terre, c’était un cauchemar. Il passa son bras sur le visage pour s’essuyer, mais cela n’arrangea pas les choses.

« Ouais, ouais… », dit-il sans trop d’assurance. Il s’approcha du trou qu’il avait creusé et vu ce qu’il redoutait. « Une pierre…

— Bien sûr », dit-elle, ironique, comme s’il cherchait une nouvelle excuse. Mais un petit sourire illumina son visage. Elle aimait quand il faisait semblant de rencontrer un gros problème. C’est vrai qu’il était coutumier du fait, et tout cela pour enjoliver ses performances, pensait-elle.

Il se mit à genoux et il eut l’impression que la température était montée à celle que pouvait atteindre un four. Il gratta à l’aide de ses mains, protégées par des gants en tissus, et se rendit compte que l’obstacle était un peu plus gros que prévu.

Comprenant l’incident, Alphonsine s’avisa : « Bon, je te laisse. Je te fais confiance, mon amour.

— Hum… Hum… », répondit-il entre ses dents.

Il prit un petit outil et commença à repousser la terre tout autour de la pierre. Mais il n’arrivait pas à en faire le tour. Il gratta. Et gratta… Et gratta…

Il lui sembla avoir creusé des heures et des heures. Il sentait ses forces disparaitre petit à petit. Et la pierre n’était toujours pas enlevée.

Quand il entendit des pas derrière lui, il se dit qu’il accepterait mal une nouvelle remarque… Mais sa pulsion s’apaisa quand il entendit la voix fluette de Marie : « Papa. On t’a fait un sandwich, avec maman ! »

Il se retourna et vit la petite fille qui tenait une assiette avec en son centre un bon morceau de pain de campagne rempli d’un mélange qu’il aimait plus que tout. Chair à saucisses maison, oignons, champignons (des pleurotes, bien évidemment) et quelques lardons. Des feuilles de salade et des tomates bien juteuses l’aideraient à faire passer tout ça. Un sourire naquit sous la boue qui défigurait Auguste. Un vrai masque beauté ! Et l’espoir revint.

Il vit sa femme poser un plateau avec de la limonade bien fraîche. Des gouttes perlaient le long de la carafe et il eut envie de s’y baigner dedans. Drôle de sensation ! Auguste s’essuya avec son t-shirt et fit une bise à Marie du bout des lèvres. Elle le repoussa gentiment : « Beurk ! Tu es tout sale ! » dit-elle en rigolant. Puis elle se pencha en avant. « Oulala ! Mais c’est quoi ce trou ? C’est une tombe de pharaons ? » Au moins, ses cours d’Égypte n’avaient pas disparu sous les bêtises qu’elle regardait à la télé. « Oui, sûrement ! » répondit Auguste, taquin. Ils rirent ensemble et se précipitèrent vers Alphonsine.

Ils s’assirent sur un banc en bois, sous le prunier fleuri. Auguste était vanné et la limonade fut un vrai élixir de jouvence. Et le gobelet en plastique une coupe du Graal.

« Alors ? demanda Alphonsine.

— Pfff…

— T’inquiète. Je vois bien que tu ne fais pas exprès et que tu galères.

— Mouais…

— Mais j’ai confiance en toi… Je sais que c’est dur. Mais ce n’est qu’une pierre. Tu y arriveras ! Comme tout ce que tu as fait jusqu’à maintenant. »

Il lui prit la main et la serra tendrement. Elle lui colla un baiser sur une joue mouillée et il rougit comme quand ils avaient seize ans. L’odeur de jasmin qui se dégageait de son cou le fit chavirer. Du léger foulard que portait Alphonsine, une plume blanche et douce se détacha et s’envola au loin. Marie courait après un papillon.

Bien rassasié, et revigoré par tous ces encouragements, il se remit au travail. Il était torse nu dorénavant. Et les voisines faisaient mine de passer et repasser prétextant une quelconque occupation imaginaire.

Il reprit le manche de la bêche…

Une heure plus tard, il avait enfin déterré ce qui ressemblait au site archéologique de Stonehenge. Aurait-il voulu faire croire... Mais en fait, il s’agissait d’une pierre dont les dimensions tout à fait respectables dépassaient à peine – tout de même – les vingt centimètres de côtés, pour quinze de large. Un beau petit bébé de plus de dix kilos enfoui dans son jardin, sous les bégonias et autres fraisiers… Mais il était venu à bout de dame nature…

Le trou, par contre, était colossal ! Une vraie cavité ! Pourquoi cette pierre était-elle placée là ? Elle semblait couvrir quelque chose, mais quoi ? En tout cas, il n’y avait plus rien maintenant. Un coffre au trésor y aurait été la bienvenue… Un peu moins un corps.

Alphonsine arriva. Et au même moment, un voisin un peu curieux les rejoignit (jusque-là, il s’était contenté d’épier Auguste derrière son rideau, se plaisant à le voir galérer). Béatrice et Christelle s’arrêtèrent un instant et Alphonsine força son mari à remettre son t-shirt.

Bientôt, tout le quartier allait se retrouver dans le jardin des Dubois, et les élucubrations les plus folles iraient bon train. Rien de plus normal pour passer le temps quand il n’y a rien à se mettre sous la dent.

Bref. Voyant les heures passer, Auguste mit fin au débat. Il planta son cerisier, remis de la terre tout autour, arrosa copieusement, et laissa la pierre sur le côté, tel un trophée.

La journée avait été plus longue que prévu. Lui qui espérait terminer cette tâche en une heure… Mais le boulot était fait, et cela rendait bien. Dans quelques années, quand le cerisier donnerait ses premiers fruits, cela serait grandiose. Et plus personne ne se souviendrait de ce trou étrange.



***




Le lendemain matin, courbaturé comme s’il s’était battu avec Jason Statham, Auguste ouvrit les volets. Et son désarroi fut total. Il appela Alphonsine. Et la stupeur l’envahit. Le cerisier avait disparu ! Et le trou était revenu ! Un mètre de diamètre, et de profondeur.

Il descendit en tatane, accompagné par sa femme. Et ils n’y comprirent rien. Au début, ils pensaient à une mauvaise blague. Mais de quel goût ? Le quartier s’était de nouveau rassemblé dans le petit jardin. Et les théories les plus folles reprirent de plus belle. Sur ce coup-là, malgré toute la fausse bonne volonté de Auguste, il n’y pouvait rien faire. Il l’avait bien planté, ce satané cerisier ! Que s’était-il passé ? Impossible de répondre. Et il passa des heures à cogiter.

Le trou fut rebouché. Et la journée passa.



Le jour d’après, le trou était réapparu. Alors là, si c’était une farce… ! Mais plus curieusement, si cela ne l’était pas déjà, la surface désherbée avait l’air de s’être élargie… Une surface sans flore, neutre, asséchée.

Quelques badauds revinrent prendre des nouvelles auprès des Dubois. Mais déjà des rumeurs circulaient pour dire que c’était une supercherie afin d’attirer l’attention sur eux. Auguste ne savait pas quoi faire… Si ce n’est que ce jour-là, il ne prit pas la peine de reboucher le trou.



Le troisième jour. L’étendue désherbée était encore plus grande. Pas de beaucoup, mais suffisamment pour qu’Auguste se rende compte que ses pâquerettes n’étaient plus…

De jour en jour, le cercle grandissait de centimètre en centimètre. Et tout ce qui poussait sur ce cercle mourrait et disparaissait. Jusqu’à ce que le jardin des Dubois ne ressemble plus qu’à un désert.

Alors, un jour, ils firent appel à la mairie, qui fit venir un jardinier. Qui fit venir un spécialiste. Qui fit venir des chercheurs. Des prélèvements furent faits. Des tests. Des essais. Par précautions, la famille Dubois fut relogée en attendant que les résultats sur la dangerosité du site soient donnés. Le cercle désertique atteignait maintenant les cent mètres de diamètre ! Et avait même atteint les jardins d’à côté. Les arbres, dont un grand sapin, avaient disparu.

Des journalistes, des chaines de télé pour des reportages étaient venus sur place.

Aucune réponse n’avait été donnée.

Mais ce ne fut pas tout. Alors que plusieurs familles avaient carrément déménagé, un autre phénomène se produisit. Ce fut au tour du trou de s’agrandir. Petit à petit. Nuit après nuit. Le quartier entier fut bouclé et évacué définitivement. Une année passa. Puis deux. Le trou avait grandi à hauteur du cercle asséché pour atteindre quatre cents mètres de diamètre ! Du jamais vu ! Les maisons avaient été absorbées par le phénomène. Englouties à tout jamais. Des géologues. Des spéléologues… Des analyses par satellites furent faites. Le trou gardait son mystère et personne ne trouvait de réponses… Mais il avait arrêté de grandir. Et plus rien ne se passa.



***


Enfin, plus rien…

Les familles avaient touché des indemnités des assurances pour leurs maisons. Des aides avaient été allouées en plus par des associations et les dons de particuliers avaient été nombreux. Le phénomène avait ému tout le pays.

Auguste, Alphonsine et Marie avaient loué un temps une maison pas très loin de leur ancienne demeure. Auguste y tenait. Et ils étaient attachés à cette région. Mais la lassitude gagna le clan. Ainsi que l’opinion publique. Un nombre d’années bien trop important s’était passé et le trou restait là, sans bouger, et sans donner la moindre explication. Des barrières et des grillages avaient été levés tout autour du périmètre pour éviter un danger mortel. Et plus aucun curieux ne se promenait le long du corridor de sécurité. Tous, sauf Auguste… Au grand désespoir d’Alphonsine. Cette histoire lui tournait la tête.

Marie grandit, et quitta ses parents à la première occasion. Alphonsine aussi… elle abandonna, victime d’une longue maladie, son Auguste sans le vouloir. Il n’avait rien vu venir. Trop obnubilé par le trou et ses secrets.

Auguste resta néanmoins, mais avait dépensé tout son argent pour rester là. Il avait construit une cabane sur les hauteurs de la colline du Mont Miandon. Une butte de sapins à quelques centaines de mètres de son ancienne maison. Il s’était procuré une longue-vue, et observait tous les jours le cratère. Sans trop savoir quoi espérer. Il souhaitait juste que cela se termine au plus vite. Comme pris dans un engrenage entre l’alcool et la drogue, il était devenu dépendant de cette énigme qui n’intéressait plus personne dorénavant. Mais lui veillait. Pendant quarante ans…



Alors qu’il était fatigué, las, et prêt à se faire une raison – il acceptait au fond de lui mais refusé de se l’avouer – sur le non-sens de sa quête, un matin, comme tous les autres avant lui, il pointa sa lunette astronomique sur son ancien quartier qui ne ressemblait plus qu’à un vieux terrain vague abandonné. Et il crut halluciner ! Il se frotta les yeux de ses mains parcheminées et tachées. Non… Il ne rêvait pas !

Il fit tomber son appareil et déboula la colline en filant tout droit sur le versant ouest. Il était mal chaussé, les genoux grinçaient comme une vieille chaine de vélo, et il n’avait plus le souffle d’avant mais peu importe. Il venait de retrouver ses vingt ans ! Il poussait les branches des sapins qui le cinglaient sur son passage. Il sautait au-dessus des rochers, enjambait les anciennes barrières qui délimitaient dans le temps le parking du supermarché et le terrain de boule. Personne aujourd’hui. Comme depuis près d’une décennie. Hormis lui !

Il courut sur l’asphalte déformé par les racines des arbres qui lui faisaient une haie d’honneur. Et il arriva devant le grillage qui volait au vent. Face à lui, le cratère. Immense. Froid. Effrayant. Un puits sans fond à quelques centimètres de ses orteils mycosés. Il avança son pied droit…



Une dalle blanche et lisse se présenta à lui. Sans aucun support. Juste posée là, dans l’air et l’espace. Une autre apparut et Auguste y posa son pied gauche. Il flottait. Au-dessus du vide… Et il continua d’avancer. Quelques mètres. Cent… Deux-cents… Puis il posa sa voute plantaire sur une herbe verte, douce et riche. Elle le chatouilla presque. Auguste avança doucement cette fois entre les tulipes et les primevères. L’endroit sentait bon, et lui rappela un lointain souvenir. Un souvenir de jasmin… Il regarda tout autour de lui, et devina qu’il était à l’emplacement de son ancienne maison.

Oui. C’était bien cela.

Il s’assit sur un banc en bois, à l’ombre d’un prunier. Devant lui se dressait un magnifique cerisier rempli de fruits rouges juteux. Une main se posa sur sa cuisse : « Tu as enfin réussi, mon Auguste. »

Il se retourna, les yeux mouillés par les larmes, et vit Alphonsine à côté de lui. Un large sourire aux lèvres. « Tu vois, cela a pris le temps, mais nous y voilà. Il n’est pas beau cet arbre ?

— Si, il l’est », murmura-t-il en la dévisageant.

« Je suis si fier de toi », puis elle se pencha et lui tendit un baiser sur sa joue toute fraîche.

Une plume blanche et douce s’envola…



FIN


Votre serviteur : N22

Texte 3, le 13/04/2021


"UN MURMURE"

Histoire courte

"Un Murmure"


David empruntait la descente de Serrières. Comme très souvent. Il partait du haut plateau ardéchois pour rejoindre la vallée du Rhône. Son véhicule suivait le cabriolet qu’il avait devant lui, épousant les courbes généreuses des virages. La vitesse était réduite sur cette portion car elle était accidentogène. Néanmoins, il y avait une vue magnifique sur le Rhône, les plaines iséroises et drômoises, ainsi que, en toile de fond, les Alpes. Le paysage était à couper le souffle, notamment les matins, lorsque le soleil flirtait avec les cimes de la plus grande chaîne de montagnes d’Europe.

Il était deux heures de l’après-midi et David était tranquille derrière son volant. Quand, tout à coup, il eut comme une vision. Il tourna la tête vers la gauche. Une petite aire de repos avec une table de pique-nique semblait perdue au milieu de tout cela. Sur le côté se tenait une minuscule bâtisse qui devait servir auparavant à un paysan pour y ranger ses outils. En arrière-plan, les vignes s’étalaient jusqu’à l’horizon.

Mais David pensa voir quelque chose de bien étrange : une chouette effraie. Son attention fut immédiatement portée par la chose et son véhicule fit une virgule sur la route. Une seconde de plus, et il mangeait la rambarde de sécurité qui le retenait de plus de soixante mètres de ravin. En face, un énorme camion qui transportait une tractopelle frôla l’aile gauche de son break.

Il avait rêvé ? Eu une hallucination ? Une chouette effraie, ici ? En pleine journée ? Cela devait sûrement être un sac plastique accroché à une branche. Mais son oreille commença à bourdonner. Rien d’anormal jusque-là, cela lui arrivait de temps en temps quand il descendait de son Ardèche adoptive. Mais la sensation lui parut plus qu’étrange. Elle ressemblait à un poste radio déréglé et cela lui donna un mal de tête instantané. Et le fait d’avoir évité un grave accident accentuait son malaise.

Il continuait tranquillement sa route, mais le phénomène s’amplifia. Il ressentait maintenant une douleur dans l’oreille gauche. Cela ne lui avait jamais fait ça auparavant. Le « son » était plus fort. Un gros grésillement lourd et puissant, comme un énorme bourdon coincé contre son tympan.

Son après-midi shopping au magasin de bricolage fut vite écourté. Il passa même par une pharmacie pour acheter de l’aspirine. D’habitude, cela ne sert à rien dans un cas de décompression, mais la douleur s’était installée dans toute la partie gauche de son crâne. Mais bien plus étrange encore, ce qu’il entendait dans son oreille devenait plus clair, plus audible… Presque comme… des voix embrumées, floutées et passées au travers d’un filtre. Il avait plus que besoin de repos et, une fois arrivé chez lui, il ne déchargea même pas son coffre. Cela attendrait.


Allongé sur son lit, toutes lumières éteintes et volets fermés pour ne laisser entrer aucun rayon de soleil, le mal ne disparut pas. Les yeux clos, sans aucune possibilité d’améliorer sa situation, il subissait. Et les « sons » devenaient clairement identifiables.

« Stop… Là… »

David pensa être atteint de folie. Son mal de tête était à la limite du supportable, son oreille gauche donnait l’impression d’être commandée par une onde radiophonique étrangère – voire extraterrestre ? – et maintenant il entendait des voix. Des portions de mots incompréhensibles dans son ensemble.

« Arrête… Là… Sous… »

Non, il n’en pouvait plus. Il avait la sensation que quelqu’un lui murmurait à l’oreille. Clairement. Une voix faible, lointaine, et pourtant si proche que les paroles lui semblaient déposées dans son conduit auditif, tout près. Un chuchotement. Un souffle… spectral.

David se leva. Ce n’était pas possible !

« Feuille… Stop… Moi… »

David se dirigea vers la salle de bains. Il fouilla dans le placard mural au-dessus du lavabo et attrapa la boîte de coton-tige. Il referma le battant et se vit dans le minuscule miroir. Et il découvrit son visage. Sa partie gauche était enflée, déformée, bosselée. Une tache bleu pétrole s’étendait autour de son oreille. Il tapa du poing sur la glace et plusieurs morceaux de verre se cassèrent, tous plus acérés les uns que les autres. David lâcha ce qu’il tenait dans son autre main et une dizaine de bâtonnets ouatés tomba dans le lavabo. Il se mit un doigt dans l’oreille et il en ressortit avec un magma noir gluant tout autour.

Il se mit à paniquer. Les mots tapaient dans sa tête comme une musique infernale dans un haut-parleur. Il se cogna au chambranle et l’étagère trembla sous le choc. Il tituba dans le couloir et faillit se prendre les pieds dans le tapis.

Il arriva dans le garage et appuya sur l’interrupteur. Un néon – l’unique néon – se mit à grésiller. Il y a toujours un néon qui grésille. Il fonça vers l’établi, renversa une caisse, faillit déraper sur la bouillie infâme qui lui sortait de l’oreille, et attrapa enfin ce qu’il cherchait.



***


Les inspecteurs Mills et Somerset étaient à l’entrée du garage. L’ambulance et les voitures de gendarmes occupaient l’ensemble du chemin de terre. Quelques badauds essayaient de jeter des coups d’œil malsains, portables à la main, pour alimenter les rumeurs sur les réseaux sociaux.

« Tu ne me croiras pas si je te le dis, annonça Mills à son coéquipier.

— Oh, pas la peine. Je pense que j’ai compris », répondit un Somerset désabusé.

Les Techniciens en Identification Criminelle rassemblaient les indices dans leurs petits sacs en plastique, au moment où le Cocrim (Coordinateur des Opérations de CRIMinaliste) vint à leur rencontre.

« Bon, les gars. J’vous l’donne en mille.

— Putain, fait chier, jura Mills.

— C’est le troisième en une semaine, reprit le technicien. Vous comptez faire quoi ? Continuer d’aller à la piscine ou vous vous sortez les doigts.

— Ta gueule », balança Somerset.

Et le coordinateur s’effaça avec un grand sourire. Il avait tapé là où ça faisait mal.

Cela faisait en effet la troisième personne retrouvée « assassinées » chez elle avec une mèche de perceuse électrique enfoncée dans l’oreille.

« Je crois bien qu’on a à faire à un putain de tueur en série, se dit Mills à lui-même.

— Ouais, un putain de tueur à la perceuse. »



***


Trois mois plus tard, alors que les beaux jours commençaient à revenir, que les arbres se garnissaient copieusement de rameaux étincelants, et que la faune reprenait ses droits sur la nature, un vieux couple de nordistes s’était arrêté sur une petite aire de pique-nique dans la montée de Serrières. Il ne leur restait plus beaucoup de chemin à faire pour arriver sur le plateau ardéchois et profiter d’une mise au vert calme et reposante, loin du marasme de la métropole lilloise, mais la vieille dame, atteinte d’un diabète non réglé, devait à tout pris se restaurer pour ne pas tomber dans les pommes.

Ils s’étaient installés à quelques mètres de cette route très fréquentée, mais le bruit ne les incommodait pas outre mesure. Alors que Victor croquait quelques chips aux arômes barbecue et que Véronique grignotait un gâteau sucré, leur chien, un vieux York-quéque-chose gambadait fièrement dans les buissons pour trouver le meilleur emplacement pour une petite crotte.

À force de fouiner à l’aide de son museau ramolli et de ses pattes usées, il tomba sur un os. Il se mit à japper. Mais ses propriétaires le laissèrent faire, ne prêtant pas plus attention que ça à son jeu. Il gratta alors la terre de plus belle, sous les feuilles, et découvrit un deuxième os, bien plus long. Une vingtaine de centimètres. Près du cabanon.

Les retraités repartirent. Véronique fut prise de maux de tête, surtout au côté gauche. Elle mit cela sur le compte de son hypoglycémie. Et des voix apparurent…


***


La petite Juliette ne fut jamais retrouvée. Sa disparition se perdit dans l’oubli. Mis à part pour ses parents. Le temps avait fait son affaire. Ou presque.

Les gendarmes et la police, eux, ne furent jamais en mesure d’arrêter le fameux tueur à la perceuse qui continuait de sévir dans la région.


FIN


Votre serviteur : N22

Texte 2, le 26/03/2021


"LA VENGEANCE D'AXEL SALSAL"

Nouvelle courte, écrite après un défi lancé sur Twitter par une auteure. Cette dernière a eu l'audace de "m'éliminer" dans un de ses textes. J'ai riposté. Ceci est donc ma réponse.

Merci à Driller_Killer



"LA VENGEANCE D’AXEL SALSAL"


Il était grave vénèr, chargé à fond les ballons, prêt à tout péter pour y arriver. Cela faisait un an qu’il espérait ce moment, et il était sur le point d’y parvenir. Axel Salsal allait pouvoir se venger. Et avec lui, fallait pas rigoler ! C’était un vrai dingue. Le Clint Eastwood de la cité des séquoias, le Bourbon Kid du bloc D ! Un real Killer !

Oui, il y a un an, jour pour jour. Il attendait la réception de ce livre tant désiré : le fameux best-seller, le recueil de nouvelles « Histoires folles et horrifiques ». Quand il avait lu le SMS du livreur pour lui dire qu’il avait déposé le bouquin, Axel Salsal s’était précipité dehors si vite qu’il en avait oublié ses clés. Celle de la boite aux lettres, mais également de son appartement. Il était alors devenu complètement fou ! Avait ameuté tout le quartier, s’était fait insulté, mis le souk devant l’immeuble et avait passé toute la nuit dans la rue, par un petit moins dix degrés, les charentaises dans la neige. Il avait été expulsé de la copropriété, fait un séjour à l’hôpital psychiatrique sur Shutter Island pour ensuite bénéficier d’un peu de vacances à la prison de Shawshank après avoir molesté le président du syndic. Il l’avait bien mérité, il lui avait piqué le bouquin. Mais du coup, Axel n’avait toujours pas eu la chance de tenir entre ses mains le fameux Graal et en lire ses pages.


Mais voilà qu’il était donc sur le point de parvenir à ses fins. Et de quelles manières ! Il se trouvait ni plus ni moins devant la maison de cette auteure, Adeline G. Une belle baraque en fait. Son bouquin avait dû lui rapporter un beau petit paquet de fric ! Le portail était atypique : tout en fer forgé, des araignées et des chauves-souris ornaient ce qui ressemblait aux entrées des enfers ! Pour qui se prenait-elle ? Elvira, la princesse des ténèbres ? Il allait lui montrer qui LUI il était !

Il s’avança prudemment. Il caillait dur et la neige crissait sous pieds aujourd’hui chaussés de grosses bottines. De la lumière se dégageait d’une baie vitrée située en face de lui. Un fond de musique rock arrivait jusqu’à ses oreilles. Il crut deviner la voix de Tom Araya, mais il n’en était pas sûr. Il se cacha derrière ce qui aurait pu être un nain de jardin chez une personne normale, mais la statuette représentait une chimère d’au moins un mètre de haut ! Cheloue, la meuf…

Axel remarqua deux autres individus avec la femme. Cette dernière était maquillée à la Alice Cooper, alors que ses deux guests ressemblaient étrangement à Jason Voorhees et Freddy Krueger. Bon, il était clair qu’il avait affaire à un groupe de chtarbés complets, et Axel se demanda s’il avait choisi la meilleure soirée pour sa vengeance…

Il fit le tour de la maison et passa l’angle. Il faisait un vrai froid de canard et il sentait le bout de ses doigts se transformer en Mister Freeze malgré les gants. Il aperçut une porte de garage en bois, classique celle-là, et une chatière. L’homme réfléchit un instant – les grandes manœuvres – et jugea qu’il pouvait rentrer par là. Axel était de corpulence moyenne, peut-être un peu plus large au niveau de la taille, mais avait perdu quelques kilos depuis son itinérance forcée de cette dernière année.

Il se mit alors à quatre pattes, et avança la tête la première par l’encadrement. Les épaules passées, les fesses à l’extérieure – les hanches coinçaient légèrement –, une idée terrifiante lui vint tout à coup à l’esprit. Existait-il des chatières pour chiens ? Une si grande maison, sûrement des bijoux à l’intérieur, une fortune colossale ramassée en vendant des livres d’horreur… Ne serait-ce pas plus logique d’avoir un Beauceron ou un Rottweiler plutôt qu’un tout petit chat tout mignon ? D’ailleurs, cette chatière paraissait bien large pour un minou…

Tout à coup, il entendit du bruit derrière lui, et son sang ne fit qu’un tour. Son palpitant se mis à danser la salsa contre sa cage thoracique et de grosses gouttes de transpiration apparurent sur son front. Il ne voulait pas que ses fesses ressemblent au dernier steak haché infâme qu’il avait mangé il y a de cela un mois au McDo pour un euro. Et les sons étranges s’approchaient… Il se dépêcha, mais ses mains tremblaient. Ses pieds grattaient les graviers sans résultat.

Puis, par magie, sa bedaine passa la chatière et Axel se retrouva à l’intérieur. Il déplaça un bidon de désherbant, un parpaing, et un tricycle en travers de l’entrée. Un Bong ! secoua toute la porte du garage, et il pensa alors que l’animal pouvait avoir la taille de… la chimère qu’il y avait dans le jardin ? Non, non. Moitié lion, moitié chèvre, avec une queue de serpent… Il n’était pas dans un livre de Lovecraft, mais dans la vie réelle.

L’homme se retourna et contempla l’endroit. Un vrai foutoir ! Mais un nouveau son, comme une plainte, lui parvint. Il contourna la pile de cartons qui imitait à la perfection la tour de Pise, et n’en crut pas ses yeux. Au mur du fond, deux personnes étaient attachées par de grosses chaînes. Un homme et une femme. Elles gisaient sur le sol, les pieds et mains entravés par d’énormes bracelets d’acier. De larges foulards à têtes de mort les bâillonnaient. Quand les deux victimes virent Axel, elles se mirent à gesticuler dans tous les sens comme deux anguilles sorties de l’eau. Axel s’approcha timidement, ne comprenant pas bien la situation. Il s’agenouilla devant la femme qui avait l’air apeurée, et lui enleva le bâillon.

« Chut, murmura Axel, ne faites pas de bruit. »

La jeune femme reprit sa respiration et parut soulagée.

« Que se passe-t-il ici ? demanda-t-il.

— Mon mari et moi avons été kidnappés. Par… par cette folle ! Elle est cinglée ! Complètement !

— Moins fort, je vous ai dit. »

Elle paraissait choquée, et prête à péter un plomb. L’homme à ses côtés, avait l’air d’acquiescer ses dires.

« Nous avons gagné un concours sur Twitter le mois dernier, reprit-elle. Nous devions passer la soirée avec elle et dédicacer son livre. Mais ses deux amis nous ont sautés dessus. Et nous ont attachés ! Ils sont marteaux ! Détachez-nous, s’il vous plait. »

Axel parut réfléchir… Et prit la rapide décision de les laisser là. Non sans se débattre, le foulard fut remis sur la bouche de la jeune femme. L’homme à côté se démena comme un beau diable et les chaînes tintèrent gaiement.

« Je reviendrai », les laissa espérer Axel, uniquement pour avoir du calme. Mais il avait une seule mission. Et il ne devait dévier de sa ligne de conduite.

Il fit un tour complet du garage, qui était aussi grand que son ancienne cellule. Il avança vers l’établi. Prit un marteau de charpentier et le contempla. Les extrémités étaient contendantes à souhait. Mais son regard fut attiré par autre chose. Il attrapa sur une étagère une batte de baseball en bois. Ça avait l’air bien mieux. Oui. Bien en main… Il fit un ou deux moulinets avec, mais la reposa. Finalement, il se baissa pour soulever une tronçonneuse. Parfait ! Oh yeah ! Malgré tout, son choix se porta sur une boite cachée entre deux caisses. Un détail avait attiré son attention. Il fit deux pas en avant et enleva le couvercle. Il saisit des deux mains un magnifique katana, splendide sabre japonais.

Je vais m’la jouer Kill Bill pour Kill the Drill ce soir ! pensa-t-il. Et cela lui rendit le sourire.


La présence de Jason et Freddy était tout de même un problème, la supériorité numérique l’inquiétait. Il eut alors la bonne idée de laisser le temps au temps. Il trouva une cachette dans cette immense maison, avec son katana pour seul ami. Et attendit un moment plus propice.


Quelques heures plus tard, le mari et la femme trucidés sur l’autel de la folie, et les deux énergumènes rentrés chez eux – où peu importe leurs destinations – Axel Salsal se dit que l’heure était enfin venue.

La musique était arrêtée, et un calme de lendemain de fête régnait dans la belle villa. Il sortit alors de sa planque, les jambes ankylosées et une forte envie de pisser. Il arrosa un ficus dans le couloir et découvrit une bibliothèque dans l’allée. Il y jeta un œil et vit la très célèbre sage d’Oliver Krauq, deux ou trois bouquins de Simon Perdrix ainsi que le dernier roman de JR Kobencröft. Fallait le reconnaître, elle avait de bons goûts question lecture…

Il continua sur la pointe des pieds. La maison sentait l’encens, et une forte odeur de tacos très épicés lui remplit les narines. Son estomac approuva par un borborygme caverneux. Il poussa une porte devant lui, et il découvrit un lit défait, avec un corps affalé dessus. La Fameuse et Talentueuse écrivaine. Toute de noir vêtue, hormis un kilt écossais très affriolant. Mais l’épilation de ses jambes lui fit penser au film Hellraiser. Une moue de dégoût défigura le visage de l’homme. Il la bouscula sans aucun ménagement et elle se retourna. Elle avait les cheveux collés sur la joue, son maquillage avait coulé et elle ressemblait dorénavant à un tableau de Picasso laissé toute une vie sous la pluie. Elle ouvrit un œil crotté et sursauta sur le matelas.

« Mais, putain ! Qu’est-ce que… ? Qui est-ce qui… ?

— Tais-toi, tu veux ? » Axel brandit le katana. « Descends de là ! »

Elle obéit sans rien dire. Et elle avait bien raison.

« Tu sais pas qui j’suis ? demanda Axel. Alors je vais vite te raconter. »

Deux minutes suffirent à cela…

Adeline était à genoux, telle une pénitente, implorant le pardon divin. Axel se tenait devant elle, son arme prête.

« Demande-moi quelque chose, peu importe. Je le ferai ! » implora-t-elle pour gagner quelques secondes.

Axel réfléchit un instant : « Tu as de la mortadelle à la pistache ici ? »

La femme sembla surprise, mais la chance était avec elle : « Oui ! J’en ai ! Sans déc ! » Elle avait l’air trop contente.

« J’déteste la mortadelle à la pistache ! » Il leva le bras au-dessus de sa tête, et fit tomber les ténèbres sur l’auteure.



« J’peux sortir, s’il vous plait ? »

Axel était sur le canapé, un sandwich au bacon et au fromage dans une assiette, le recueil de nouvelles entre les mains.

« J’peux sortir du frigo ? Sérieux, il caille !

— Pas tant qu’j’ai pas fini, répondit Axel. Tu comprendras p’t’être… »

Et il tourna une page de plus.


FIN (peut-être…)


Votre serviteur : N22

Texte 1, le 06/03/2021