4015 victoires

Ce n’est pas la première fois que j’essaye de coucher cette histoire sur papier (ou sur écran). Alors la rendre publique est une autre chose. Mais je vois de plus en plus de personnes partager leurs expériences sur les réseaux sociaux. Pour se livrer, se libérer, mais aussi pour donner à ceux qui pensent être seuls un peu d’espoir, et qu’il existe d’autres cas comme eux. Et que certains, beaucoup, arrivent à s’en sortir.

Aujourd’hui cela fait onze ans que je suis sorti de ce cauchemar. 4015 jours (sans les années bissextiles) comme on nous apprend à compter lors des premières réunions. Cela fait donc 4015 jours que j’ai commencé une nouvelle vie, que je suis sorti de ce piège infernal qu’est l’alcool.

Beaucoup diront que je chipote, nombreux me l’ont dit, que l’alcool n’est pas un problème. Il faut savoir gérer, ce n’est qu’une dépendance psychologique. Je ne perdrai plus de temps à répondre à ce genre de bêtises, et je dirai à ces individus de passer leurs chemins. Si l’on ne veut pas chercher à comprendre, je ne peux rien pour eux.

Mais il y a onze ans, j’ai décidé de ne pas mourir de suite. Je me suis dit que, peut-être, la vie n’était pas si dégueulasse que ça. Car oui, c’était une forme de suicide indirect. Je n’avais pas beaucoup d’espoir dans la vie à ce moment-là. J’en étais arrivé à un point où j’étais obligé de boire dès le réveil. Par des bières aromatisées pour y aller mollo, pour ensuite attaquer la vodka (ou le whiskey) afin d’avoir une bonne dose, suffisante, pour me rendre sur mon lieu de travail (sans oublier de mettre la bouteille dans le sac). Bien entendu, tout cela était entremêlé de séances sur le trône de faïence de la salle de bains pour évacuer les toxines que mon foie, ma bile et mon estomac stockaient depuis la veille au soir. Avec à chaque fois l’impression que ma tête allait exploser, qu’un truc était sur le point de péter à l’intérieur de moi tellement les spasmes étaient violents. J’étais même parfois surpris de me réveiller certains matins. Il m’arrivait parfois de laisser un petit mot sur ma table de chevet qui disait tout simplement : « Pardon ». Juste au cas où…

Cela faisait des années que ça trainait. Quand on s’en rend compte, après une très — trop — longue période de déni et de mensonge, le mal est déjà là. Combattre le mal par le mal, cela vous parle ? Alors quand on veut boire, on boit. Car quand le corps sent le manque vous envahir, il vous joue de mauvais tours. Surtout en public. Mains qui tremblent, quand ce n’est pas tout le corps, suées abondantes, et crampes d’estomac. Sans parler de l’humeur de chien que l’on trimballe et que l’on impose à son entourage. Entourage qui diminue de jour en jour tellement vous êtes une merde pour ceux qui ne comprennent pas que vous êtes malades. Car oui, il s’agit bien d’une maladie. Héréditaire parfois.

Donc il y a onze ans, je tentai l’impossible. Ce n’était pas la première fois que j’essayais. Mais il y a toujours des personnes autour de vous qui n’y voient qu’un caprice passager, comme si vous décidiez de faire un régime sans sucre. Ou de la jalousie.

« C’est bon, tu vas pas en mourir.

Rien qu’un verre, c’est pas la mer à boire.

Même pas une petite bière ou un apéro ?

Je vais pas trinquer tout seul ! » sont le genre de bêtises que l’on entend tous les jours. De la part des mêmes personnes qui vous traitaient de poivrot quelques jours plus tôt. Alors la rupture n’est jamais loin. Surtout quand on doute. La période de sevrage est terrible. On est malade comme pas possible. À cette occasion, j’avais demandé une semaine de congés à mon boss. Et je suis resté enfermé chez moi, avec le numéro de téléphone d’un gars aux Alcooliques Anonymes (merci les poteaux pour votre soutien. Je pense tous les jours à vous).

Depuis que j’ai arrêté de boire, j’ai retrouvé un état de santé à peu près potable (j’ai passé la quarantaine, forcément je ne suis plus tout neuf non plus), fait une pu*%$& d’économie (comptez vingt euros minimums d’alcool par jour), entrevu l’espoir d’une vie, gardé un boulot, me suis marié, acheté une maison et eu un fils qui a la chance de me voir comme je suis réellement (et d’espérer le voir grandir le plus longtemps possible).

Alors les problèmes d’alcool ne sont pas des faux problèmes. L’alcool tue aussi ! Et s’il ne tue pas, il vous gâche la vie et celles de vos proches.

Si une personne vous dit qu’elle ne boit pas, ne la forcez pas. Soutenez-là.

Si vous voulez parler, il existe de nombreuses associations. Décrochez votre téléphone, n’hésitez pas.

Si vous voulez m’en parler en privée, rendez-vous sur mon Twitter (N22-Axel).

Comme on dit en réunion : "un jour à la fois".

J’en suis donc à 4015. Et j’en suis très fier. Il y a onze ans, j’ai décidé de vivre.

Je suis en vie. Et je n’ai jamais été aussi heureux.


Axel,

Le 27 septembre 2021 (Jour 4015)